Montre-moi ton Carnaval… Et je te dirai ce que tu veux !
À Charleroi, la Grande Parade Citoyenne du Carnaval défend une société inclusive et résiliente. À Rennes, le cortège se distingue par ses contestations anticapitalistes et ses revendications altermondialistes. Est-ce qu’un Carnaval revêt toujours une dimension subversive ?
Blodwenn Mauffret : « Non, pas forcément. Le Carnaval de Rennes, au 19e siècle et au début du 20e, appartenait à l’ordre dominant. Extrêmement ordonné – les militaires y participaient –, il véhiculait les valeurs de la bourgeoisie à travers, notamment, la fête des fleurs, la richesse des chars, l’ordre entre les femmes et les hommes avec cette image de la femme pure, de la femme fleur. Depuis, le Carnaval rennais a été repris par des associations militantes et underground et se veut désormais subversif. On relève toutefois un point commun entre le Carnaval historique de Rennes et l’actuel : l’expression du rêve d’un groupe commun. Pour le premier, l’affirmation de l’ordre dominant ; pour le second, l’espoir qu’une autre société est possible. »
Cela veut dire que le dénominateur commun à tous les Carnavals serait l’utopisation du monde…
B. M. : « Lors d’un Carnaval, le cortège prend possession de la ville. Les participants expriment leur individualité ou leur collectivité au sein de l’espace public ; de même qu’un imaginaire. Soit ce qui a été interdit et le Carnaval prend alors valeur de transgression. Soit la valorisation de l’ordre en place et le Carnaval prend alors valeur de légitimation. Quand un homme se déguise en femme, par exemple, un grand classique carnavalesque, on peut y voir plusieurs significations. Certains pointeront le caractère subversif du propos car l’homme en devenant autre exprime un interdit : celui de porter des robes et de se maquiller, celui d’être homosexuel… Mais d’autres y décoderont peut-être une réaffirmation des genres, en soulignant ce qu’une femme doit être et ce qu’un homme finalement ne doit pas être. À travers cette articulation entre la prise de possession de l’espace public et l’expression d’un imaginaire collectif va se créer une forme d’utopisation, donc, mais pas nécessairement une forme de militance. Parce qu’au sein d’un cortège qui peut de prime abord sembler subversif, on peut quand même retrouver des éléments qui réaffirment l’ordre. Et parce que tous les carnavaliers ne se sentent pas forcément « engagés » dans une cause. »
Le militantisme autour du Carnaval dépend finalement du sens qui entoure cet événement ainsi que de la manière dont chacun se l’approprie. Plus le discours est précis et compris par tous, plus cette manifestation peut constituer un levier de changement…
B. M. : « Le Carnaval est effectivement un outil de communication très puissant parce qu’il touche à l’imaginaire et véhicule des images fortes. Ce n’est pas pour rien que l’on retrouve ses principaux ingrédients lors des manifestations politiques ou certaines formes d’activisme. À Rennes, actuellement, il y a un vrai militantisme au niveau du Carnaval parce que les participants organisent des happenings, créent des instants dramaturgiques, se montrent subversifs, se positionnent en faveur de l’écologie, contre la société capitaliste, etc. Les messages qu’ils revendiquent sont clairement définis. Si l’on veut militer en faveur d’une ou plusieurs causes, mieux vaut éviter l’ambiguïté ! Car l’ambivalence – qui accompagne souvent le grotesque – ouvre à la multiplicité des sens. »
Aller plus loin
Envie d’en savoir plus sur le sujet, de poser des questions, de donner votre avis ? Ne ratez pas la conférence de Blodwenn Mauffret ce samedi 23 février, à 10 heures, à la brasserie de l’Eden. En plus, c’est gratuit !
Blodwenn Mauffret, est Docteure en études théâtrales. Spécialiste du Carnaval de Cayenne, elle mène actuellement des recherches sur celui de Rennes. Elle fait partie de la Société Française d’Ethnoscénologie et du laboratoire Scènes Francophones et Écritures de l’Altérité de l’IRET (Institut en Recherche en Études Théâtrales) de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle.