Le slam, ça s’écrit, ça se dit, ça se vit !
Pour que la parole porte
Un vendredi matin, à l’Athénée Royal Louis Delattre de Fontaine-l’Évêque. « L’exercice, aujourd’hui ? Rédiger un texte intégrant les mots « scander », « abécédaire », « spasme », « dégât », « radical », « sonore », « illuminait », « noir », « déplacer », « futur ». N’oubliez pas d’écrire des phrases courtes, en tablant sur les jeux de mots, en jouant avec les sons, en évitant les répétitions et conjonctions de coordination (souvenez-vous, le fameux mais – ou – et – donc – or – ni – car) ! En fin d’atelier, vous viendrez le présenter sur la scène slam. OK ? » Rien de tel, en effet, qu’une mise en pratique pour clôturer la série d’ateliers autour du slam de poésie dispensés aux élèves de 5e technique par Hugues Jusniaux (alias Slamdog), animateur à l’Atelier / M, la maison de jeunes de Monceau-sur-Sambre. Le slam, ça s’écrit, oui… Mais, surtout, ça se dit et ça se vit !
« Le slam a une fonction identitaire », relève Bruno Humbeeck, psychopédagogue, directeur de recherche à l’Université de Mons. « Il nous donne à révéler qui nous sommes dans un contexte esthétisant. La rime permet de porter ce que l’on a envie de dire de manière plus authentique. Par ailleurs, tout ce qui va fluidifier l’éloquence s’avère positif. D’un point de vue démocratique, cette capacité est sans doute l’un des éléments que l’on doit pouvoir le plus distribuer auprès de ceux qui en ont besoin si l’on veut que leur parole porte. L’éloquence permet de reconstruire des individus. Si vous êtes capable de vous exprimer de manière consonante avec ce que vous pensez, vous allez améliorer l’estime que vous avez de vous-même et plus celle-ci se développe, plus vous allez être apte à expliquer un point de vue et à vous montrer persuasif. Le fait de pouvoir s’appuyer sur la prosodie – la musique naturelle de la langue – aide les personnes timorées, tout comme celles qui ont un discours hésitant, à s’exprimer en public. Voilà, un autre gros atout du slam : on est tout de suite en mesure d’avancer avec un discours fluide ; ce qui permet du coup de gagner en assertivité. J’ai vu des personnes ânonnant juste avant de monter sur scène se métamorphoser devant le micro : elles ne cherchaient plus leurs mots, ne craignaient pas d’achopper, parce qu’elles suivaient une cadence fixée par la musique. »
De la poésie post-moderne
Et ce jour-là, à l’Athénée de Fontaine-l’Évêque, dans la classe de français de madame Godefroid, effectivement, la « magie » opère… « Parlez calmement et suffisamment fort pour qu’on vous entende bien », leur suggère l’animateur, Hugues Jusniaux. « Rappelez-vous : le slam, c’est du partage ! Articulez bien et surtout, assumez ce que vous avez écrit. » Ensuite, tour à tour, les élèves de 5e technique défilent sur la scène slam improvisée, tenant à la main leurs feuilles A4 noircies de récits étonnants ; s’appropriant les techniques du storytelling ; enchaînant avec brio couplets et refrains tantôt mordants, tantôt émouvants, souvent brillants ; les saupoudrant savamment de gimmicks, punchlines et autres rimes qui rythment.
« Le slam, c’est un moyen d’extérioriser ce que l’on a à dire », commentent Luca, Matteo et Alessio. « Et ici, on nous a transmis des techniques pour le faire. » Après quatre ateliers de deux heures, la plupart des élèves sont parvenus à sortir un texte. Mais tous n’ont pas eu l’audace de le présenter devant leurs camarades… « Ce n’est pas évident de se dévoiler devant les autres, on a peur d’être jugés, d’être moqués », confient Luca, Matteo et Alessio. C’est en effet l’un des enjeux de ces ateliers slam. « Ces jeunes vont avoir à défendre leurs projets de qualification devant un jury extérieur, slamer est un excellent exercice pour apprivoiser la prise de parole en public », explique la professeure de français, Patricia Godefroid. « C’est aussi une manière de découvrir la liberté de l’écriture. Mon objectif était de pouvoir faire s’exprimer des jeunes qui généralement n’ont pas d’estime d’eux-mêmes, alors que ce sont eux qui ont le plus de vécu et de richesse. Ces ateliers ont été de vrais moments de partage et d’émulation. D’un point de vue pédagogique, ils ont aussi contribué à faire accrocher certains élèves au classique. Le slam, c’est de la poésie post-moderne ».
Un espace de libre expression
« Marc Kelly Smith, le poète américain qui a imaginé le concept de scènes slam à Chicago fin des années 80, parle d’ailleurs de “performance scénique de poésie” », souligne Hugues Jusniaux. « Slamer, c’est jouer avec la langue et avec les mots, chercher à multiplier les traits d’esprit, trouver des messages percutants, ou drôles parfois. Il existe des battles de compliments… Le slam, c’est un espace dans lequel on est libre de dire ce que l’on veut, comme on le veut. Les mots sont nus… Si on ne les habille pas, le texte paraît plat ! Lors d’une scène ouverte, les slameurs vont être cotés par un jury désigné dans le public pour rendre la soirée vivante, interactive. Les spectateurs sont invités à réagir : à applaudir pour saluer les prestations et à huer les juges pour manifester leur mécontentement… La compétition est un prétexte à ce moment d’échanges. »
Lors des soirées slam de l’Eden, à l’instar de nombreuses scènes ouvertes, c’est d’ailleurs le deuxième qui remporte le tournoi. « Le meilleur poète ne gagne jamais », confirme Hakim Larabi, membre du collectif Goslam City, partenaire de cet événement, et animateur d’ateliers slam. « Ce principe permet de se rappeler que la manière dont un texte va être accueilli reste subjective… Et également qu’on ne participe pas à un scène ouverte pour gagner. Le but, c’est de partager son récit avec humour, profondeur, subtilité…, émotion. Il n’y a pas de star system : on déclame son texte et ensuite, on réintègre le public… Chacun est acteur et spectateur en même temps. Ces deux éléments sont indissociables. Le slam, c’est vraiment une pratique populaire au sens noble du terme ».
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Libérer la parole, booster la créativité, accroître les capacités d’éloquence, augmenter l’assertivité, favoriser le partage au sein d’un groupe…, les avantages du slam de poésie sont légions. À l’Eden, cette pratique occupe clairement une place de choix dans la programmation. Qu’il s’agisse des concerts, spectacles, concours (A Cappella Belgium Battle Contest, End of the Weak…) qui enrichissent régulièrement l’agenda du centre culturel ; des soirées slam mensuelles, animées avec Goslam City ; des ateliers d’écriture organisés dans les quartiers toute l’année en amont de ces scènes slam (Atelier Mots en partenariat avec l’Atelier / M) ou ponctuellement (via l’Atelier / M et Goslam City) dans le cadre notamment de Zéro>18, le Festival des droits des enfants et des jeunes. Une journée durant laquelle ils sont amenés à réfléchir au respect de leurs droits à travers une série d’activités, parmi lesquelles une gigantesque scène slam – le droit de s’exprimer étant, pour rappel, consacré par l’article 13 de la Convention des droits de l’enfant.
Forger l’expérience avec le vécu
Lors de la dernière édition, en novembre 2018, quarante jeunes se sont ainsi succédés sur la scène de l’Eden pour prendre pleinement possession de leurs droits. Sans accessoire et en moins de trois minutes, ils ont chacun déclamé leur texte : des récits personnels abordant des thématiques sociétales universelles comme l’absence, la violence, l’alcoolisme… Mais aussi la procrastination ou encore, la surconsommation ; sujets choisis par Luca et Alessio. « Suite à l’atelier qu’on a suivi à l’école, on a eu envie de participer à ce festival et peut-être qu’après, on viendra à la scène slam. C’était un peu stressant – pas d’écrire le texte : ça, ça a pris une petite demi-heure… – mais on est contents de l’avoir fait. Peut-être que ça va nous rendre plus extravertis. L’expérience se forge avec le vécu. »
Alors, si vous aussi, vous souhaitez dépasser quelque peu vos limites en explorant une nouvelle discipline, c’est le moment de dégainer votre plume et votre carnet de notes. Rendez-vous à la brasserie de l’Eden le 24 janvier pour partager le résultat de vos vagabondages poétiques – les inscriptions à la scène slam commencent à 19h30. Et d’ici-là, pour vous mettre en condition, n’hésitez pas à visionner les conseils du professeur Slamdog !
À Charleroi et au-delà
« C’est aux alentours de 2013 que le slameur Régis Taymans (alias Gisré), souhaitant développer des scènes slam à Charleroi, a pris contact avec l’Eden », se remémore Hakim Larabi (Chauve Sourit). « Avec Selçuk Tufek (Mots-Art), qui comme moi faisait partie du collectif hip-hop A6000, nous avons participé à cette première soirée organisée au centre culturel et repris goût à l’oralité. Ensemble, tous les trois et puis tous les deux avec Selçuk lorsque Gisré a préféré se retirer, nous avons créé Goslam City, une structure ayant pour but de développer le slam au Pays Noir et de le faire rayonner au-delà des frontières carolos. À travers cette pratique, notre volonté est de promouvoir l’expression, les lettres, la littérature, l’oralité chez les ados et adultes, tous publics confondus, pour leur permettre une plus grande liberté de prise de parole, écrite et orale. Le slam est loin d’être, comme certains l’imaginent, une activité locale et underground. Elle s’inscrit au contraire dans des réseaux professionnels très dynamiques à l’échelle internationale. »
Aller plus loin
Découvrez les textes d’Alessio et Luca, deux jeunes slameurs de la scène Zéro>18