L’art vivant au service du parcours des migrant.e.s
Porteur de sens, éveilleur de conscience, rassembleur, le théâtre est un indéniable outil de développement sociétal. A l’occasion des représentations « Ma vie de basket » et « Portraits sans paysage », le collectif Hold Up et le Nimis Groupe ont accepté de nous rencontrer. Ces entretiens ont permis de mettre en évidence la force de frappe dont dispose le théâtre à l’aune d’une société qui craint la différence.
Une forme importante de manifestation sociale et politique
Le théâtre et l’expérience théâtrale permettent de s’émanciper, de revendiquer, d’échanger, de transmettre des messages et des valeurs et ce, même autour de thématiques qui semblent parfois difficiles à aborder. Ce mois-ci, l’Eden a eu la chance d’accueillir deux compagnies qui souhaitent, par leur art, visibiliser les parcours migratoires et ce qui les composent. Elles nous offrent une autre vision face au « phénomène, dans notre société, de la peur de l’étranger, qui pousse des mouvements nationalistes à des positions extrêmes, à cause de stigmatisations et préjugés. »
(Léa, collectif Hold Up).
L’intérêt pour ces compagnies n’est pas d’apporter des réponses, mais bien de rendre compte de certaines réalités, à l’instar du Nimis Groupe, dont la force réside en leur investigation sociale et politique du terrain. Les membres qui le composent, pour certain.e.s issu.e.s de l’immigration, ont une manière tout à fait authentique d’investir leur rôle de comédien et de conteur. « Comme c’est du théâtre documentaire, on fait des recherches, on lit des bouquins, on va rencontrer les personnes touchées par le sujet, on reçoit des avocats, des assistants sociaux, des hébergeurs, et les migrants eux-mêmes. » (Tigui, Nimis Groupe).
« En tant que citoyen.ne.s, on est amené.e.s à rencontrer des personnes étrangères, à faire des projets avec elles et on se rend compte qu’il y a un gros problème de justice. Etant comédiennes, on profite du théâtre comme arme. » (Léa, collectif Hold Up).
Un espace d’échanges et de capture de l’instant
Il ressort de ces discussions la nécessité de cultiver cet espace intime où comédien.ne.s se donnent pour leur public à un instant T. « Il y a un truc magique au théâtre : cette fragilité de l’instant qui est très belle et qu’il faut maintenir » (Elodie, collectif Hold Up). Quand les technologies actuelles tendent à un traitement toujours plus rapide et virtuel de l’information, le théâtre possède une grande qualité : celle de créer de réels échanges humains. « La personne qui vous donne l’information est là, devant vous, même des personnes qui ont vécu ce dont on est en train de parler sont là. […] » (Tigui, Nimis Groupe).
Traiter de la condition des parcours migratoires et écouter ces histoires offrent la possibilité de s’immerger, le temps de quelques heures, dans une expérience unique, sans possibilité de mettre pause, de zapper, de scroller. Le migrant est un être humain, et non une statistique et le rapport humain entretenu au théâtre permet de briser certaines barrières.
« En général, l’inconnu fait peur. Il y a toujours des questions. Mais une fois que tu as côtoyé la personne, tu n’as plus peur d’aller vers elle. »
(Tigui, Nimis Groupe).
Des publics différents
La manière de traiter le sujet diffèrera selon l’angle adopté et le public visé. Le Nimis Groupe s’adresse au grand public, dès l’âge de 12 ans. « C’est vrai qu’il y a des informations assez crues, mais les jeunes sont le futur. Si on ne touche pas ces jeunes-là, c’est que l’objectif est manqué. » (Tigui, Nimis Groupe). Ne recourant qu’à peu d’accessoires, ils se mettent en scène pour restituer la parole des personnes qu’ils ont rencontrées, ainsi que la leur. Rien n’est inventé.
Le collectif Hold Up, quant à lui, recourt à un tout autre imaginaire qui lui permet de s’adresser aux enfants, dès l’âge de 6 ans. Les comédiennes manipulent la chaussure, transformée en marionnette, pour faciliter la démarche complexe de déconstruire et reconstruire une pensée souvent préétablie par rapport à la thématique de la migration. « Pour nous c’est assez magique de se dire qu’on ouvre la porte à cette réflexion et c’est pour ça qu’on a envie d’échanger avec les jeunes car ils sont l’avenir. » (Elodie, collectif Hold Up). Porteuses de sens, l’utilisation des godasses, comme métaphore, permet de faire passer un message, parfois violent, de manière non-violente.
Photos © Aurélie Clarembaux
« Les difficultés de la vie font que chacun indexe : mon problème, c’est toi. On accuse les autres sans voir la beauté que peut apporter la diversité. »
(Tigui, Nimis Groupe)
Une aventure collective
Si les publics sont différents, l’aventure, elle, est collective. Le théâtre permet de moduler la société à travers le développement de l’individu. Il est un bassin de transmission de valeurs citoyennes et un art qui rassemble, et ce, parfois même aux prémices de certaines créations. Le théâtre est une co-construction, tout comme notre société où « chaque être a quelque chose de spécial, apporte quelque chose. C’est une valeur qui s’ajoute. » (Tigui, Nimis groupe).
Les propositions présentées au public trouvent leur sens dans leur faculté à éveiller les consciences et à offrir à tou.te.s la possibilité, à travers un.e comédien.ne ou une chaussure, de s’identifier. « Je pense que c’est de la magie et qu’il faut venir le voir pour y croire. » (Tigui, Nimis Groupe).
Loin d’être moralisateur, la capacité qu’a le théâtre à cristalliser des opinions et réflexions épars, offre, finalement, un point de départ à de nouvelles considérations. Ces deux propositions artistiques ont, en effet, été l’occasion pour l’Eden, d’investir la grande salle pour une rencontre et discussions autour de la situation des personnes en exil dans notre pays, et à Charleroi. Une rencontre rendue possible grâce au soutien et à l’intervention du collectif Charleroi Solidarité Migrant.e.s.
Terreau fertile à une évolution dans nos sociétés, quand le théâtre s’approprie des sujets aussi alarmants et actuels que celui de la migration, son effet de catharsis permet, au moins, de « poser une petite brique à l’édifice de la solidarité. » (Elodie, collectif Hold Up).
Pour en savoir plus…
• Site web Nimis Groupe
• Site web collectif Hold Up
• Article sur la réalité de vie dans les centres fermés en Belgique
• Emission sur la question migratoire et l’évolution des centres fermés en Belgique